Jean-Marc LOFFICIER (éd.), Les Compagnons de l'Ombre, t.1Les Compagnons de l’Ombre est une série d’anthologies dirigées par Jean-Marc Lofficier, reprise hexagonale des
Tales of the Shadowmen que le même Lofficier dirige outre-Atlantique, dans sa maison Black Coat Press, dont Rivière Blanche est une extension ultérieure. Il s’agit, pour les auteurs, de jouer à «
inventer de nouvelles aventures pour leurs héros préférés », dans un projet qui ne manque pas, les crossovers étant au rendez-vous (euphémisme !) de rappeler
La Ligue des Gentlemen Extraordinaires du Divin Alan Moore (dans ce présent volume, la nouvelle de
Sylvie Miller & Philippe Ward « Les Ferrets invisibles » y fait nécessairement penser), ou, plus récemment,
La Brigade chimérique. D’autant que, pour ce qui est de ce premier volume, la plupart des aventures se déroulent à Paris, avec des personnages souvent de création française : l’occasion de découvrir ou redécouvrir tout un patrimoine pré-super-héroïque, à base d’Arsène Lupin, de Fantômas, de Judex, du Nyctalope, et j’en passe. Mais les héros étrangers ne manquent bien entendu pas pour autant à l’appel, Sherlock Holmes en tête. Quoi qu’il en soit, et autant le dire de suite, c’est avec délectation que l’on se plonge dans cet univers étourdissant riche en castings de luxe, qui fleurent bon les
pulps et les
serials.
Outre la réjouissante préface de
Jean-Marc Lofficier (
« Mémoires d’un ex-Compagnon de l’Ombre »), on trouvera dans ce premier volume très francophile 22 nouvelles, de taille très variable, allant de la «
short-short » (
Jean-Marc Lofficier lui-même en signant la plupart, en guise de nouvelles intercalaires, avec une habileté tout à fait remarquable, l’exercice étant périlleux) à la novella. En fin de volume, un « générique » – fort utile – permet de mieux entrevoir les abondantes références utilisées dans chacune d’entre elles.
Il serait sans doute vain de vouloir détailler ici l’ensemble des textes composant cette anthologie on ne peut plus enthousiasmante (
a fortiori pour ce qui est des «
short-short »). Je me contenterai donc de quelques notes concernant les nouvelles qui m’ont le plus marqué.
La première,
« Le Masque du monstre » de
Matthew Baugh, est une parfaite introduction au recueil, et en détermine les grandes lignes : la distribution est pour le moins exceptionnelle – le monstre de Frankenstein, Judex, un jeune Maigret pas encore commissaire, les frères Kramm, Jules de Grandin… – et le récit à la hauteur ; cette longue nouvelle se déguste un sourire complice aux lèvres, authentique plaisir sans doute un brin régressif, comme l’ensemble du recueil, mais qu’est-ce que ça fait du bien !
Je relèverai également
« Les Anges de la Musique » de
Kim Newman (dont il faudra décidément que je lise
Anno Dracula et ses suites un de ces jours), nouvelle totalement farfelue mais ô combien réjouissante où le Fantôme de l’Opéra dirige une Agence de « drôles de dames », ayant maille à partir avec des automates hoffmanniens. Irréprochable et très drôle.
John Peel, avec
« Le Tortionnaire au grand cœur », fait se rencontrer le Chevalier Dupin et le comte de Monte-Cristo, qui livrent ensemble bataille aux Habits Noirs. Pas mal du tout, notamment dans les passages qui se présentent le plus ouvertement comme des pastiches de Poe.
On notera par la suite un « cycle » de nouvelles mettant en scène Arsène Lupin et Sherlock Holmes. Ici, je dois dire que, n’étant un grand connaisseur ni de l’un ni de l’autre, j’ai parfois (souvent ?) été un peu largué par les allusions. Cela ne m’a cependant pas empêché d’apprécier un certain nombre de ces textes, dont – bien sûr ? –
« Bonjour chez vous ! » de
Xavier Mauméjean, courte nouvelle dans laquelle Sherlock Holmes est prisonnier du Village… Mais je pourrais aussi noter
« Arsène Lupin arrive trop tard » de
Jean-Marc Lofficier, nouvelle essentiellement épistolaire, rocambolesque comme il se doit, et très efficace, quand bien même un tantinet prévisible.
Cette prévisibilité, on la retrouve pour
« Les Ferrets invisibles » de
Sylvie Miller & Philippe Ward ; un peu trop, cette fois, sans doute, même si ça se lit.
Mais j’y ai largement préféré
« L’Œil d’Oran » de
Win Scott Eckert et
« Le Meurtre de Randolph Carter » de
Jean-Marc Lofficier, deux nouvelles ayant un fond lovecraftien (alors, forcément…), mais totalement délirantes, la première n’hésitant pas un seul instant à emprunter pour toile de fond
La Peste de Camus (!), la seconde, très drôle, offrant le premier rôle à Hercule Poirot, dont la sagacité légendaire se retrouve opposée à quelques fameuses figures empruntées à l’œuvre du « reclus de Providence ».
Au final, si tout n’est pas exceptionnel, le bilan est néanmoins très largement positif : ce premier volume des
Compagnons de l’Ombre est une réussite incontestable, réjouissante de bout en bout, à la fois ludique et érudite. Un très bon moment de lecture (et accessoirement une mine pour les MJ du jeu de rôle de
La Brigade chimérique…). J’espère que les volumes ultérieurs sont aussi bons ; parce que si c’est le cas, on peut d’ores et déjà me compter comme fan.