[Edit du dernier paragraphe du post précédent: j'avais omis un élément qui aura son importance.]
Avec les Compliments du Passe-Muraille
Partie III
De bonne heure le lendemain, notre équipée se retrouva donc au Quai des Orfèvres, où le commissaire Maigret, chargé de l'affaire, les fit entrer dans son bureau. Il écouta attentivement l'histoire : l'incendie, le fuite sur le toit, le dirigeable... il se montra intéressé par l'hypothèse de la diversion, choqué par l'attaque des scarabées. Maigret promis de communiquer ces informations aux équipes dépêchées sur place, et de voir si aucun artefact avait été volé. On termina par l'absence de Moret à la fin de la soirée, mais, fit remarquer le commissaire, un soupçon ne fait pas une disparition.
Or, ce fut justement le moment que choisit M. Verne pour appeler le commissariat : il s'inquiétait pour Alexandre Moret, qui n'avait pas donné signe de vie depuis la veille au soir. Sa femme elle-même ne l'avait pas vu rentrer, et elle avait aussitôt interrogé le directeur des musées à ce propos. Maigret demanda donc à Verne de venir au plus vite, et plaça cette nouvelle affaire en priorité : était-elle liée en quelque façon à l'incendie du Louvre ?
Il fallait le découvrir au plus vite. Et justement, on avait un suspect sous la main à interroger. Le docteur Martin se proposa, faisant valoir son expertise en sciences cognitives pour faire parler l'individu revêche. La séance fut courte : les manières trop policées du savant n’impressionnèrent guère le gaspard, qui le rembarra d'une insulte bien sentie. Waldrip demanda alors un tête à tête avec le bandit dans sa cellule, sans oreilles indiscrètes. Un peu dubitatif, Maigret accepta néanmoins. Tout le monde s'éloigna, laissant le lord anglais enfermé avec l'autre patibulaire. Nul ne sait ce que Waldrip fit ou dit, mais au bout de seulement quelques instants, l'autre hurla pour qu'on « sorte ce monstre » de sa cellule, et qu'il dirait tout. Et effectivement, après que Waldrip se fut éloigné avec un sourire énigmatique sur le visage, il passa à table : il avait été engagé avec d'autres par un certain Babau, dans un rade du XVIIIe nommé le Vieux Chasseur. Ils devaient seulement déclencher un incendie, et avaient le droit de prendre ce qu'ils voulaient. Un boulot facile et bien payé.
Interrogé sur ce fameux Babau, il précisa : un colosse roux au regard de braise, la tignasse et la barbe hérissées, un barreau de chaise vissé aux lèvres. C'était lui le pyromane ; il pouvait cracher des flammes plus chaudes que les feux de l'enfer. Babau avait au moins un autre acolyte et bossait pour un commanditaire, sans plus de détails. Bizarrement, ce dernier n'avait demandé aucun butin.L'homme dit en revanche tout ignorer d'une disparition ou d'un enlèvement. Mais en simple homme de main, il s'est contenté de faire ce qu'on lui a dit et n'a pas cherché à en savoir plus.
Des pistes commençaient à se préciser. Un acte criminel prémédité, un mystérieux commanditaire, et même un surhomme : l'affaire prenait de l'ampleur.
A peine de retour dans le bureau du commissaire, une secrétaire signala que M. Verne venait d'arriver. Maigret l'invita à les rejoindre, lui détaillant les informations recueillies. On exposa l'idée que l'incendie avait pu être une diversion, et que la véritable cible n'aurait été autre que Moret. Le commissaire incita l'honorable directeur à se remémorer tout élément d'importance.
Henri Verne, fouillant dans ses souvenirs, raconta alors une curieuse histoire. Ce mystérieux fantôme, vous vous souvenez ? Et bien, le directeur savait pertinemment qu'il s'agissait d'un individu en chair et en os : en effet, il avait constaté que des documents avaient été fouillés, des traces de pas retrouvées, des objets déplacés. En revanche, il n'y avait pas eu de vol. Et comme il craignait qu'une enquête de la police retarde la fin des travaux et la réouverture du musée, il n'avait pas fait de déposition. Et voilà que le bon monsieur Verne se demandait soudainement s'il n'y avait pas un lien avec tout cela. Manifestement, quelqu'un s'intéressait à quelque chose dans le musée qu'il n'avait pas trouvé.
Racontant cela, Verne se remémora soudain autre chose, qu'il se reprochait maintenant de ne pas avoir dévoilé plus tôt. Quelques semaines auparavant, il avait été contacté par un prétendu négociant en art et antiquités. Un individu désagréable, au fort accent belge, nommé Stapleton, ou Tartleton, quelque chose comme ça, et dont il n'avait jamais entendu parler. L'homme disait représenter un richissime collectionneur désireux d'acquérir une certaine relique égyptienne : la momie de Neferhotep, ainsi que son mobilier funéraire. Or, cette momie faisait partie des découvertes ramenées d’Égypte par Bonaparte, et comme la plupart des pièces de cette époque, elle avait été égarée au cour des ans.
Maintenant, Verne n'avait ni le temps, ni la patience, ni même l'envie de faire cette recherche pour cet individu, et par ailleurs n'étant pas dans les habitudes du musée de céder des pièces à des collections privées, il manifesta son refus, certes poliment, mais avec fermeté. Et comme par la suite il n'avait plus entendu parler de cet homme, il ne s'en était plus soucié.
Il y avait en revanche un fait troublant: Moret s'était occupé quelques années plus tôt de l'inventaire du fond égyptologique lors de son transfert de la Bibliothèque Nationale au Louvre. Ayant eu à répertorier l'ensemble des pièces acquises, Il était par conséquent le mieux placé pour répondre à la demande du personnage.
Le commissaire pris une profonde inspiration. Une piste commençait à se dessiner : ce fameux négociant, devant le refus du directeur, aurait-il pris l'initiative de faire cambrioler l'objet de sa convoitise ? Puis, ayant échoué à le trouver, aurait fait kidnapper l'homme le plus susceptible d'en connaître la cachette?
Bien que cela puisse sembler cohérent, toute l'affaire paraissait grotesquement disproportionnée : Figurez-vous, l'incendie d'un musée prestigieux, puis l'enlèvement d'un notable, tout cela pour de vieux ossements ?
Mais dans tous les cas, il fallait en avoir le cœur net. Maigret mit tout de suite ses équipes au travail : recherches d'historique sur cet étrange négociant belge, idem pour le fameux Babau, a priori inconnu de son service.
Restait la piste du Vieux Chasseur. Malheureusement, les ardeurs furent bien vite refroidies : le troquet est connu pour être un repaire des Habits Noirs ; difficile pour la police d'y faire une descente sans risquer l'escalade. C'est alors que nos valeureux amis se proposèrent d'aller y enquêter eux-même, sûr de réussir à éviter les soupçons. Waldrip, miss Willis et Étienne se rendirent donc dans le XVIIIe, tandis que Martin décidait d'aller enquêter au Louvre, désireux de trouver l'origine de l'odeur perçue la veille.
Le vieux chasseur était un établissement somme toute assez anodin. Un peu défraîchi, certes, mais rien qui ne le distinguât de n'importe quel autre café de quartier populaire. A peine la porte franchie, l'atmosphère empesée, alourdie par la fumée de cigarettes, leur pris la gorge. La salle était presque vide. Un tenancier indifférent passait un chiffon sale sur le comptoir, tandis que quatre individus en complet veston faisaient une belote. Des regards noirs accueillirent leur entrée, mais personne ne bougea. Sentant le poids des yeux braqué sur eux, nos trois acolytes vinrent s'accouder au comptoir. Waldrip commanda avec flegme un scotch, qui lui fut servi sans plus de mots que de délicatesse. Avalant une gorgée d'alcool, il risqua une question au barman : Babau, un colosse roux, cela lui disait-il quelques chose ?
« Finis ton verre et dégagez d'ici » fut la réponse lapidaire de l'autre, l'ombre d'une menace dans la voix.
L'anglais garda son calme. « je me suis sans doute mal exprimé » murmura-t-il avec un sourire, en faisant glisser un billet de cent francs sur le zinc.
Le gaillard explosa dans un rire tonitruant. De sa grosse voix, il interpella les joueurs de carte : « Hé, Michel ! J'ai ici un p'tit monsieur qui me propose un bifton pour que j'ouvre mon clapet ! Faudrait voir à lui apprendre les bonnes manières, à ce gus, tu penses pas ? »
Les quatre types se levèrent tranquillement, sans un mot, et vinrent se placer derrières nos amis. Waldrip senti le bout d'un canon qu'on plaquait dans son dos. « Bon les marioles, fini de plaisanter. Vous allez sortir bien gentiment, et y aura pas de casse. »
Sans ménagement, ils les dirigèrent vers la sortie. Alors qu'ils avançaient, Alicia senti un léger relâchement de la pression dans son dos. Profitant de l'opportunité, elle tenta de saisir discrètement la jambe du gangster. Son geste fut trop brusque ; l'homme s'en aperçu, et lâcha un juron en même temps que le coup de feu partait. Soudain, la bagarre éclatait !
Malgré des réflexes prompts, Alicia fut touchée. L'homme derrière Waldrip fit feu à son tour, dans un râle de colère. Mais le Lord fut plus agile, et réussit in extremis à esquiver le coup pourtant dans ses reins
(NdMJ : malgré 2 en Prestesse et pris par surprise!). Étienne fut la cible des tirs des deux hommes restants. Devant les yeux ébahis de ses adversaires, le buste et les bras du jeune homme se couvrirent instantanément de plaques de métal, sur lesquelles les balles vinrent ricocher. D'un fulgurant direct du droit, il pulvérisa le crâne d'un de ses agresseurs, qui n'eut même pas le temps de réagir. Profitant de la confusion, Waldrip se réfugia derrière le comptoir. Alicia quant à elle parvint à saisir celui qui l'avait blessée. Ses yeux de glaces plongèrent profondément dans le regard apeuré de l'homme, qui sentait la chaleur de la vie le quitter sous l'étreinte glacée de la belle qui, elle, retrouvait toute sa superbe. Dans un effort désespéré, il parvint à faire feu une seconde fois : l'américaine s'écroula au sol, le libérant de son étreinte.
Soudainement, un essaim noir et vrombissant s'éleva dans la pièce et se rua sur l' un des individus terrifié, qui eu juste le temps de se réfugier sous une table. La nuée de scarabées (car c'était bien la même que celle de la veille) le harcela malgré son refuge, et l'homme dévoré de toutes parts pris ses jambes à son cou, réussissant de justesse à échapper à la marée vorace par la porte de derrière. Pendant ce temps, le Gavroche d'Acier alignait pour le compte son deuxième adversaire d'un crocher magistral, avant de neutraliser pareillement celui qui s'en était pris à Alicia.
Les coléoptères disparurent, et le calme revint peu à peu. Waldrip émergea alors, un peu confus, demandant ce qui s'était passé, alors que Étienne portait assistance à la blessée. Toutefois, et malgré le carnage, il restait un homme à interroger.
Le barman passa vite aux aveux : Oui, effectivement, quelques jours auparavant un certain Babau était venu : costaud, tignasse rousse et hirsute, cigare au bec. Au début, les Habits Noirs ont assez mal pris qu'un étranger vienne marcher sur leur plate-bandes et le lui ont fait savoir. Mais quand le bonhomme s'est mis à encaisser les balles et à cracher du feu, ils l'ont laissé mener son affaire.
En fait, Babau était venu pour recruter. Un boulot facile et bien payé, « pour ceux qu'ont du cœur au ventre » avait-il dit. Un peu plus tard, une collègue à lui, une basanée qui se faisait appeler Mme Ambuda, était venue chercher d'autres hommes et leur avait donné un rendez-vous à Poissy.
« Encore une chose », averti le barman avant qu'ils ne partent. « Ces gens-là, le rouquin et l'indigène, c'est pas des criminels ordinaires. Je sais pas pour qui ils bossent, mais j'peux vous dire que même les patrons, ils étaient pas tranquilles. Vous savez pas où vous mettez les pieds, j's'rais vous, j'tremperais pas dans cette affaire. »
Nos amis quittèrent le troquet en réprimant un frisson. Tout compte fait, cela aurait pu se passer plus mal. Il avaient obtenus les renseignements qu'ils voulaient, mais l'une d'entre eux était gravement blessée : il fallait la conduire d'urgence à l'hôpital. Ils regagnaient à la hâte la voiture de Wladrip, lorsqu'un détail les arrêta sur place : non loin du Vieux Chasseur, ils sentirent comme une bouffée d'encens. La même odeur que la veille ! Et l'indigène dont le barman a parlé, ce pourrait-ce.. cela pourrait-il être la belle indienne qui accompagnait Moret hier soir ? Waldrip battit l'air aux alentours, à la recherche d'une présence invisible, en vain. Sitôt qu'Alicia serait hors de danger, se dit-il, il faudrait tirer tout cela au clair.